Le Billet de Monocle – Une nouvelle année

Les leçons à en tirer. La première leçon ne vient pas du domaine financier mais du poker. 

Je n’y joue pas, mais il y a des similitudes importantes entre ce jeu et notre métier. En effet, comme c’est le cas lorsque vous entamez une partie, notre performance à la fin de l’année dépend des deux mêmes paramètres :

1) La qualité des décisions prises.

2) La chance ou le hasard, appelez le comme vous voulez.

Sur le point 1, nous pouvons nous tromper.

Sur le point 2, nous n’avons pas de contrôle.

Donc il est essentiel de “Thinking in Bets” (réfléchir en paris) comme l’écrit l’ex-championne du monde de poker Annie Duke. Elle explique dans son livre que, même si vous avez une main très forte, la probabilité que le joueur en face ait une main supérieure est faible mais pas nulle. Et que si à chaque fois, dans ce genre de cas, vous pariez votre voiture, il vous arrivera un jour ou l’autre de rentrer à pied. C’est ce que le mathématicien – gérant de fonds Ed Thorp appelle : « la ruine du parieur ».

Pour ce qui vient, j’imagine que vous allez trouver cela tellement simple que vous allez vous demander pourquoi ces réflexions ne sont pas déjà beaucoup plus largement utilisées.

La raison est que l’application des théories du jeu à la finance n’est pas évidente.

Après avoir fait beaucoup de recherches sur le sujet, avoir des positions trop importantes parce que les convictions sont fortes a été la principale raison de déboires massifs pour de nombreux gérants stars.

Pour donner deux exemples, le premier : les fonds Janus, qui avaient été excellents pendant la bulle internet, après avoir souffert durant l’année 2000, prennent deux paris massifs sur … AOL et ENRON (les deux titres seront liquidés dans les mois qui suivent).

Le deuxième sur le crédit : Martin Whitman était l’expert incontournable du haut-rendement pendant 20 ans. En 2008, à 80 ans, il a pris des positions massives sur des assureurs. La perte qui s’en est suivie lui a coûté à peu près toute sa surperformance des dix dernières années.

Donc la première leçon que nous en tirerons c’est que nous structurerons notre portefeuille pour que la pire idée de l’année ne nous coûte pas plus que -2%.

Je serai ici pour faire les comptes début janvier 2024.

La deuxième leçon concerne les obligations.

Après là aussi avoir passé pas mal d’heures sur le sujet, je pense que c’est finalement une classe d’actif plus dangereuse que les actions.

J’imagine que ce commentaire peut vous choquer.

Mais je m’explique: avec les obligations, la disproportion entre des gains limités si vous avez raison et des pertes importantes si vous avez tort, fait que c’est un jeu où, sur le long-terme, vous ne gagnez quelque chose que si vous avez très peu de dossiers qui se passent mal.

Pour avoir très peu de dossiers qui se passent mal, il ne faut toucher qu’aux dossiers de bonne qualité. Hors il y a trop de monde sur ceux-ci, et ce ne sont que des professionnels.

Ils laissent peu d’opportunités sur la table.

Si vous prenez des dossiers plus risqués, un jour ou l’autre votre dossier partira en restructuration. Nous avons fait quelques opérations de ce genre. Certaines se sont bien passées (Steinhoff, DIA), d’autres plus mal (SAS).

Aujourd’hui nous avons une toute petite ligne (0.20% du fonds) dans une obligation Orpea achetée post scandale – très peu chère (à 21 du pair). Nous sommes donc dans les discussions du groupe de créditeurs pendant la phase de restructuration.

Je vous donne ma conclusion:

1) C’est terriblement long et complexe.

2) Nous n’avons que peu de contrôle sur le résultat final qui dépend d’un ensemble de facteurs trop aléatoires (volonté de l’Etat, rôle de l’administrateur judiciaire, appétit des marchés pour refinancement etc..).

Second problème: la liquidité.

Les obligations ne sont pas traitées sur des marchés régulés et il y a moins de participants. Donc il y a moins de liquidité. Donc dès que quelque chose ne se passe pas bien, il est beaucoup plus difficile de sortir. Vous pouvez moins “voter avec votre argent” comme disait l’autre. Vous subissez beaucoup plus. En particulier quand l’obligation commence à être dans le rouge, les chutes de prix peuvent être beaucoup plus rapides et brutales que pour une action.

Cela ne reflète pas forcément l’évolution de la valeur intrinsèque du papier, mais impacte directement votre performance.

J’ai ensuite pris le problème dans l’autre sens :

Quels grands investisseurs avons-nous sur les obligations ?

Warren Buffett s’en est très peu servi.

Bill Gross, le fondateur de PIMCO que l’on surnommait le “bond king” dans les années 90 explique lui-même dans son dernier livre que sa stratégie pour battre l’indice obligataire était de le répliquer puis d’ajouter autour des stratégies décorrélées pour créer de l’alpha (de la surperformance si vous préférez).

Et en plus, dans ses derniers interviews, lui-même dit “est-ce l’homme qui fait l’époque ou l’époque qui fait l’homme ?” faisant référence au fait que les taux sont passés de 15% à 0% pendant toute sa carrière, lui mettant le vent dos en permanence.

J’ai bien cherché : je ne trouve pas d’investisseurs ayant gagné sur le long-terme beaucoup d’argent avec des obligations. Ce “pile je gagne 3%, face je perds 50%” vous empêche de le faire. Si vous regardez les fonds d’obligations à haut rendement européens, la seule année 2022 a ramené leur performance sur 5 ans à quasiment 0. Cinq années à analyser, sélectionner, acheter, vendre pour obtenir zéro.

Par conséquent, la deuxième leçon que nous en tirons est que nous voulons réduire notre poche obligataire.

Aujourd’hui nous devons avoir un minimum de 51% en obligations. Nous allons réduire ce seuil. Cela passe par un changement de prospectus et prendra donc plusieurs mois. Vous  serez informés au fur et à mesure de la procédure.

Je garde bien en tête que Monocle est un fonds patrimonial – et une partie majeure de mon patrimoine est dedans – donc nous continuerons à gérer le fonds dans cet esprit. Mais avec moins d’obligations.

L’année à venir

Notre vision pour 2023 sera la même que les années précédentes: ce sera compliqué.

Plusieurs facteurs le justifient :

  1. Les valorisations restent élevées. Même s’il y a eu une correction importante l’année dernière, beaucoup d’actions restent chères. En vision à 30.000 pieds, le PE de Shiller est toujours nettement au-dessus de sa moyenne long-terme. En vision à 300 pieds, beaucoup de sociétés du Nasdaq sont toujours valorisées dix ou vingt fois leurs ventes et toujours non profitables.
  2. Sur l’inflation, il y a trop de scenarii possibles pour parier sur un seul. En “big picture” je retiens que et Larry Summers, et Paul Krugman, pourtant pas souvent du même avis, disent qu’avec un marché de l’emploi aussi tendu on ne peut pas être rassurés sur l’inflation. Pour que cette tension s’atténue, il faut une récession.
  3. Les attentes de résultats pour 2023 ont été beaucoup réduites.Vont-elles surprendre à la hausse ou à la baisse? Rien d’évident sur cette question. Je note tout de même qu’on a vu les taux de croissance beaucoup baisser en 2022 alors que justement c’était le plein emploi. Que se passera-t-il sur la demande quand la récession que veut la FED (voir plus haut) sera arrivée?
  4. Le contexte global reste extrêmement difficile: la guerre et la pandémie continuent ; les tensions géopolitiques s’accentuent et les effets de certains problèmes vus en 2022 ne se feront sentir que cette année. Par exemple le manque d’engrais l’année dernière ne sera visible que cette année dans la production céréalière.

En conséquence, je pense que ce contexte ne favorise pas une prise de risque maximum. Il me semble donc préférable de chercher des dossiers “quantitatifs” plutôt que “qualitatifs”. Dans le « quantitatif » on gagne généralement moins d’argent mais de manière plus sûre.

Et comme toujours vous savez que chez Monocle, nous sommes disponibles et joignables – n’hésitez pas à nous appeler pour toute question.

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